Nodelys

Auto-entrepreneur, un statut sous surveillance

Le gouvernement veut améliorer la protection sociale des nouveaux « indépendants », qui sont plus souvent des travailleurs précaires que des chefs d’entreprise.

C’est l’histoire d’une déception. L’indépendance, l’autonomie, la fierté de créer son entreprise. « Le slogan du” Tous entrepreneurs”, j’y ai cru », témoigne Sophie Vouteau. En janvier 2016, cette ancienne salariée d’une maison d’édition décide ainsi avec enthousiasme de rejoindre le monde des entrepreneurs. Pour exercer ses talents dans la communication, elle opte pour le régime simplifié de l’autoentrepreneur. S’ensuivent deux années de grandes désillusions, qu’elle raconte d’une plume alerte dans un livre à paraître mercredi (1).

La liberté ? « Vous êtes acculé financièrement à accepter à peu près tout de vos clients », explique-t-elle. La fierté d’être chef d’entreprise ? « Même pas. Le statut s’est totalement dévalorisé, assure-t-elle. Au point que nos clients nous demandent parfois de ne pas nous présenter ainsi, l’image de l’autoentrepreneur étant dégradée. » « En clair, résume-t-elle, vous avez tous les inconvénients du salariat, sans les avantages en termes de protection sociale et sans même avoir l’assurance d’être payé ! »

Un peu plus d’un million d’auto-entrepreneurs

Près de dix ans après sa création par la loi du 4 août 2008, le régime – qui simplifie les démarches administratives pour créer une entreprise – n’a pas tenu toutes ses promesses. Certes, le bilan quantitatif est impressionnant. La France compte aujourd’hui un peu plus d’un million d’autoentrepreneurs, dont le chauffeur Uber est devenu l’archétype, mais qui sont aussi des professionnels de la communication ou du design, des électriciens, des Webmasters ou des peintres en bâtiment. Le dispositif a même permis d’inverser la tendance historique à la baisse du travail indépendant, due notamment au reflux de la population active agricole et des petits commerces.

Reste que la précarité est au rendez-vous pour une grande majorité d’entre eux : en moyenne, selon l’Insee, les autoentrepreneurs qui se consacrent à temps plein à leur petite entreprise ne perçoivent que 460 € par mois, un revenu très inférieur à celui des indépendants dits classiques. Et seulement 38 % des micro-entreprises qui ont démarré une activité en 2010 sont encore pérennes cinq ans après (contre 50 % pour les entrepreneurs classiques).

À l’usage, il apparaît que ce régime – loin de produire une nouvelle génération de chefs d’entreprise autonomes – « bénéficie surtout et avant tout aux employeurs », souligne la chercheuse Sarah Abdelnour, auteure d’une enquête sociologique fouillée sur la question (2).

« On fabrique des travailleurs pauvres et des futurs retraités miséreux ! »

Un constat corroboré par France Stratégie : « Les nouveaux indépendants n’ont pas d’employés et vendent leur force de travail plus qu’ils ne gèrent des entreprises », souligne le Commissariat général à la stratégie et à la prospective dans une analyse de septembre 2017. « Cette sous-traitance individuelle est en effet devenue une forme de flexibilité de l’emploi, choisie ou subie, alternative aux contrats à durée limitée. »

En clair, certains employeurs préfèrent recourir ponctuellement à des prestations qui auraient pu être assurées précédemment par des salariés, mais sans les protections qui découlent du droit du travail et sans avoir à verser de cotisations patronales. On voit ainsi des architectes n’embaucher de jeunes collaborateurs que sous ce statut, des coiffeurs « louer » un siège de leur salon à un indépendant et même des compagnies aériennes à bas coûts s’octroyer les services de pilotes de ligne autoentrepreneurs…

« On fabrique des travailleurs pauvres et des futurs retraités miséreux ! », fulmine Alain Griset, président de l’U2P, l’Union des entreprises de proximité (professions libérales et artisans), qui ne cesse de pourfendre cet outil de concurrence déloyale.

Emmanuel Macron souhaite pourtant développer l’autoentreprenariat

Le gouvernement souhaite malgré tout développer l’autoentreprenariat. Les plafonds de chiffre d’affaires autorisés pour bénéficier du régime – rebaptisé micro-entreprise en 2014 – ont ainsi été doublés depuis le 1er janvier. Pour le premier ministre Édouard Philippe, le travail indépendant constitue en effet « un gisement considérable d’emplois et d’activités ».

« Il correspond à un désir croissant des Français vers plus d’autonomie, notamment chez les jeunes générations », ajoute François Hurel, président de l’Union des autoentrepreneurs. Quant à Emmanuel Macron, il y voit aussi un moyen de lutter contre le chômage de masse qui frappe les jeunes des banlieues discriminés.

Le gouvernement met toutefois une condition à la permanence du régime : faire converger les protections sociales des micro-entrepreneurs vers celles des salariés. Un premier pas a été franchi avec la loi d’août 2016 qui oblige les plateformes de type Uber – dont le modèle économique repose sur l’emploi de travailleurs indépendants – à prendre en charge, à compter de janvier 2018, l’assurance volontaire acquittée par les travailleurs en cas d’accident du travail, ou à leur proposer un contrat collectif.

Étendre le bénéfice de l’assurance-chômage aux indépendants

Par ailleurs, le gouvernement souhaite étendre le bénéfice de l’assurance-chômage aux indépendants. La catégorie d’indépendants visée et surtout les modalités de financement de ce nouveau droit font l’objet des négociations en cours sur la réforme de l’assurance-chômage.

Les discussions sont d’autant plus complexes que personne ne sait dire aujourd’hui si ces nouvelles formes d’emploi sont vraiment appelées à se développer à l’avenir. Pour l’économiste Nadine Levratto, le salariat est loin d’avoir dit son dernier mot. « Les entreprises ont besoin d’une main-d’œuvre de mieux en mieux formée, relève-t-elle. Or le meilleur moyen de détenir ces compétences en interne, c’est le contrat de travail. »

Les juges de leur côté n’hésitent pas à requalifier en salariés des travailleurs des plateformes, comme vient de le faire pour la première fois la cour d’appel de Paris saisie du cas d’un chauffeur VTC.

Enfin, le retour de la croissance pourrait bien changer les rapports de force sur le marché du travail. Un seul exemple : la santé retrouvée du transport aérien pourrait aboutir à la disparition de ces pilotes « indépendants » embauchés par Ryanair, obligés de payer de leur poche place de parking, uniforme et heures d’entraînement… Christophe Tharot, du syndicat de pilotes de ligne SNPL, en est sûr : « Les gars iront chercher du travail ailleurs ! »

Des créations d’entreprise en augmentation

En novembre 2017, le nombre cumulé d’entreprises créées au cours des douze derniers mois a augmenté de 6,2 %, selon les chiffres de l’Insee.

Tous les types de créations sont en hausse : les immatriculations de micro-entrepreneurs (+ 7,2 %) ; les créations d’entreprises individuelles hors micro-entrepreneurs (+ 5,7 %) et celles des sociétés (+ 5,4 %).

La part des demandes d’immatriculations de micro-entrepreneurs dans le total des entreprises créées au cours des douze derniers mois est de 40 %.

 

Source : Lacroix